Souvenirs de bidonvilles
Nous vous proposons cet espace pour poursuivre vos conversations afin de partager vos souvenirs dans les bidonvilles, cités de transit, au collège ou au lycée...
Dans cet espace, nous vous demandons bien entendu de respecter la charte de bonne conduite mais également, dans le cadre d'un débat, de vous interpeller de manière courtoise... sans avoir à invectiver celle ou celui qui vous interpelle ou sans chercher à polémiquer ou à controverser inutilement.
A vos claviers...
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Sacrifice
La feuille blanche se penche sur le côté pour crier sa douleur au porte-plume qui semble noyé dans l’amertume.
La feuille blanche, abandonnée à ses idées noires, hurle son désespoir et espère rencontrer rapidement une histoire.
La plume s’ennuie, tourne en rond et fait quelques tentatives.
Elle virevolte et s’aperçoit en vain que rien ne parvient à la stopper.
Comment poser avec légèreté une lettre ou un mot doux sans offusquer ce morceau de papier ?
Serait –elle sensible au point de n’accepter que les idées de ceux qui lui sont affiliés.
Pauvre feuille blanche, marginalisée par ses congénères qui supportent mal le poids de l’histoire depuis des millénaires.
Sur son pupitre, elle remonte le temps contre vents et marées.
Elle se souvient, non sans nostalgie, de l’arbre qui l’a portée.
Elle était ce végétal, libre comme l’air, qui témoignait sous une autre forme, du temps qui passe …
Les souvenirs s’entremêlent, tout va si vite, de la branche à la scierie, en passant par la papèterie, pour finir prisonnière dans la spirale du cahier, entassé dans cette vieille librairie de la rue des copeaux.
La librairie Dubois, appartenant à Isidor Dubois et sa bien aimée Firmine Laradine, de son nom de jeune fille.
Tous deux, heureux héritiers d’un oncle centenaire passionné par la sculpture du bois.
J’en oubliais le chat Hector de madame, qui se faisait un malin plaisir à signer de sa griffe les ouvrages poussiéreux, empilés dans la cave.
Que d’émotion rien que d’y penser !
Ce fut une époque moyenâgeuse.
Sans aucun droit, ni pour les anciennes, ni pour les jeunes coupures.
L’idéal, n’est il pas de tourner rapidement la page et de tout oublier ?
Enfin !
Oublier sans oublier qu’il faut toujours tenter de se rendre utile.
Plume, porte-plume, faites à votre guise et venez coucher sur mon papier les belles paroles enivrantes de la vie.
Plume, porte-plume faites à votre guise et venez « cracher » sur mon papier les injustices de la vie.
Plume, porte plume faites à votre guise et n’oubliez pas le sacrifice de ma vie.
Mohamed TALEB
Nous, les petits parisiens
Nous venions à peine de sortir des bidonvilles, ces univers détachés du territoire communal -composés de baraquements- où l’insalubrité se conjuguait à la misère omniprésente, que l’un des plus hauts dignitaires de l’Etat (Jacques Chaban-Delmas, Premier Ministre) nous baptisait « les enfants du bonheur ».
Nul d’entre nous ne pouvait imaginer que cette « bénédiction » de circonstance allait contribuer à accélérer, encore plus rapidement, notre intégration dans le paysage local.
En effet, en l’espace de quelques semaines, nous les pouilleux, nous les enfants de la Casbah (en référence à Alger la blanche), on nous appelait -désormais- les parisiens.
Mais quelle était donc l’origine de cette nouvelle dénomination ?
Le Petit Parisien est un ancien journal français, édité à près de deux millions d’exemplaires vendus à la fin de la première Guerre mondiale. Le quotidien est racheté à la fin du dix-neuvième siècle par Jean Dupuy. En 1904, le nouveau propriétaire crée sa propre usine de fabrication de papier qu’il décide d’implanter à Nanterre sur le site actuel des papeteries de la Seine, dite aussi Papeterie du Petit Parisien. Mais ce n’est qu’en 1917 qu’est officiellement créée la société des Papeteries de la Seine, dite aussi Papeterie du Petit-Parisien.
1876-1944 |
Au fil des années, les terrains présents autour de l’usine furent acquis par les Papeteries auprès d’entrepreneurs de carrières très présents sur ce secteur. Sur l’une de ces parcelles foncières (n° 75 du plan cadastral, située entre la rue de Bezons et la rue Doucet), fut édifiée -en 1971- la cité Gutenberg.
De l’autre côté de la rue de Bezons, on recensait une autre étendue de terre en friche appartenant aux Papeteries entre 1950 et 1971 (parcelle n° 77, située entre la rue de Bezons et l’avenue de la République). Cette parcelle, que tout le monde appelait « le champ » ou « la parisien » nous servait quotidiennement de terrain d’expression voire même parfois d’exploration et d’expérimentation : cueillettes de baies sauvages, de feuilles d’aneth (bessbass), ramassage d’escargots (boubouches) les jours de pluie, construction de cabanes, aménagement d’un terrain de foot, espaces de pratiques mécaniques, lieu d’entrainement pour les pompiers…
à gauche la Cité Gutenberg, à droite le champ |
Partie de football acharnée et interminable |
Alors qu’il aura fallu treize ans à Jean Dupuy (1904 - 1917) avant d’imprimer son journal dans l’usine de Nanterre, Nous, « les enfants de la pouillerie », il nous aura fallu moins de quelques semaines pour nous faire adopter de « parisiens », telle était l’appellation des habitants de la cité blanche.
Et dire que quarante ans plus tard, on nous parle encore d’intégration !!!
Mohamed SELMET
Là-bas, au-bout de rien du tout
Ce matin, j’ai croisé David Vincent, un éleveur venu tout droit du Berry pour un repérage à Nanterre, la ville préfecture. Il s’est inscrit, il y a quelques mois maintenant, auprès de son syndicat d’initiatives pour une manifestation qui sort de l’ordinaire, « La Ferme Géante ».
De sa cabine de camion, il me regarde avec des yeux hagards mais bien posés juste au-dessus de pommettes bien roses. Il réussi cependant à extirper quelques mots accrochés au fin fond de sa gorge pour m’expliquer ce qu’il vient de vivre.
Il a rencontré des inconnus venus d’ailleurs. Leur destin c’est de vivre. David Vincent, les a vus !
Pour lui tout a commencé au cours d’un passage sur une route perdue dans un coin de la ville à la recherche d’un raccourci qu’il ne trouva jamais.
Tout a commencé lorsqu’il s’arrêta, écrasé de sommeil et de fatigue près d’une cité abandonnée.
Il décrit avec précision une cité blanche au-dessus de laquelle veille un rouge-gorge. Une activité intense règne dans ce domaine aux bâtiments rectilignes et posés en parallèles les uns des autres.
Il est persuadé que sa venue est tardive et que le décor de la ferme géante est déjà mis en place.
Soudain, un bruit le fait pivoter. Un ouvrier, tout de bleu vêtu, pousse un chariot sur lequel trône des sortes de poubelles noires, uniques dans leur genre et tenant à peine à la verticale. Minutieusement, il en dépose une à chacune des entrées se trouvant à intervalles réguliers le long de chaque bâtiment.
Des cris d’enfants le réconfortent dans son idée que la ferme géante a déjà ouvert ses portes. Un gamin tenant un mouton avec une corde traverse le bout de bitume et s’enfonce dans un champ voisin. De la végétation à perte de vue agrémentée de fougères, de mûriers, de marguerites et de carcasses de voitures. Elle est insolite la campagne en ville.
Un groupe d’adultes assis à même le sol et munis pour chacun d’eux d’un verre à la main l’intrigue.
Il se décide de s’en approcher dans l’espoir de goûter un cru du pays. Arrivé à proximité, et comme par magie, le cercle formé par le groupe s’élargit et l’invite à prendre place. Aussitôt installé et en guise de bienvenue, un verre chaud et fumant lui est proposé. David Vincent découvre le thé à la menthe, une boisson qui ne doit exister que dans ce coin d’Ile de France.
Réchauffé de ce breuvage insolite, il parcourt les différentes allées qui s’offrent à lui. Au-détour de l’une d’elle, il tombe nez à nez avec des femmes affairés à confectionner des barbes à papa, histoire d’occuper les mômes qui accompagneront leurs parents venus des résidences du centre-ville et même celles du Mont Valérien. Curieux, David Vincent s’enquière de la méthodologie utilisée par les mamans et l’explication minutieuse lui fit comprendre que ce n’était point de la barbe à papa mais de la laine.
Un matériau d’origine animale provenant du mouton de l’Aïd El Kébir.
De surprises en découvertes, David Vincent sait maintenant que la Cité Blanche existe. Elle ressemble à tout autre lieu de vie mais elle a ses particularités qui en font son charme.
Désormais, il va se battre seul pour tenter de convaincre que là-bas, au bout de rien du tout et à la limite de la rue Gutenberg, il y a une âme insoupçonnée qui continue à vivre.
Kader SELMET
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