Cité Blanche Gutenberg

Cité Blanche Gutenberg

Au revoir à l'enfant de Constantine

  

Au moment où Pierre Mendès France, Président du Conseil, était renversé par l’Assemblée Nationale sur la question très sensible de l’Algérie (en 1955), Mohamed TELHAOUI (qu’il repose en paix) - alors âgé de 30 ans- décidait de quitter son Constantinois natal, son épouse et ses premiers enfants pour venir s’installer à Nanterre.

 

Un an plus tard, après avoir occupé - ici ou là - quelques petits boulots, il profita de la liberté de circulation accordée aux « français musulmans » pour regrouper autour de lui, en Métropole, sa petite famille. Fort de son expérience de travailleur isolé (homme marié vivant seul), il prit soin d’installer les siens sur l’île fleurie à Carrière sur Seine (île qui fait face aux berges de Nanterre). En effet, faute de lieux d’hébergement, M. TELHAOUI s’appropria une modeste demeure abandonnée (sans eau et sans courant électrique) auprès de son beau père déjà installé sur les lieux. Epargnée par le développement industriel, cette île leur offrait un cadre champêtre et bucolique mais néanmoins agréable. Toutefois, pour  se rendre à l’usine, à l’école ou pour effectuer les courses il fallait traverser quotidiennement la Seine en barque, empruntée à la voisine Madeleine. Ces traversées fluviales ont sans doute contribué à lui donner le surnom de « Mohamed la Seine » (à prononcer Mohamed Lahcen). Devant les dangers récurrents des traversées journalières (plus d’une fois ses enfants ont basculé dans l’eau du fleuve), M. TELHAOUI décida de quitter son havre de paix pour s’installer dans les tous premiers baraquements érigés au 66, rue des près à Nanterre (1960).

 

 

M. TELHAOUI entouré de ses enfants

Djamel (à gauche), Ahmed (au centre) et Saliha  (à droite)

 

 

C’est dans ces habitations de fortune que la personnalité de M. TELHAOUI va s’affirmer au grand jour. Grâce à sa maîtrise de la langue française, il devint - de fait - le représentant des habitants auprès des administrations locales. Avec d’autres, il fut l’un des principaux animateurs du réseau local indépendantiste algérien, réuni sous la bannière du Front de Libération National (FLN). En sa qualité de tête de réseau, il coordonna la participation des familles de ce bidonville lors de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 visant à braver le couvre-feu imposé par le Préfet Maurice Papon. Cette influence grandissante l’amena à être traqué par la police et à résister aux répressions de tous ordres.

 

 

 

Mohamed TELHAOUI au centre de la photo, drapeau algérien à la main

célébrant l'indépendance de l'Algérie dans les ruelles du bidonville du 66 rue des Près à Nanterre

 

 

Quelques années plus tard, sa maîtrise linguistique, son parcours de résistant lui ont permis d’occuper une place cardinale dans la vie de la cité (blanche) en remplissant, entre autres, le rôle d’écrivain public auprès de nombreuses familles. Aussi, il fut le principal représentant des locataires auprès de la CETRAFA quand il a fallu revendiquer un espace de prière pour les habitants de la cité Gutenberg. A ce titre, une fois ce lieu mis à disposition (1975) et en attendant l'arrivée d'un " taleb " (enseigant coranique), il fut le premier à sensibiliser les jeunes adolescents de la cité (Mohamed Falek, Djamel Kenzi, Smaïl Bédiaf, Abdelkhalek Selmet…) en leur retranscrivant phonétiquement - sur tableau noir - la sourat El Fatiha.

 

Une fois ce lieu de culte installé, il oeuvra grandement à l’édification de la première mosquée à Nanterre (Pâquerettes). Suivi d’une demi douzaine d’autres compagnons, il porta le projet auprès des autorités publiques, organisa son financement et établit son fonctionnement. Sa fidélité l’amena à occuper la fonction de secrétaire général de la mosquée Okba Ibn Nafaa, plus de trente années durant.

 

Son altruisme, et sa bienveillance, l’amenèrent également à accompagner plus d’une centaine de familles nanterriennes dans leur voyage vers la Mecque à l’occasion du pèlerinage d’El Haj (une des cinq obligations de l’Islam).

 

Bâtisseur, car El haj TEHAOUI aimait à rappeler '' qu’avant de cueillir, il fallait savoir planter les deux pieds dans la terre '', combattant de tous les instants, car il était d’une région d’Algérie où même les grand-mères ne reculent pas devant l’ennemi,  forte personnalité, homme libre et indépendant, seule la maladie a su dompter son énergie et freiner son action de militant invétéré, toujours au service des autres.

 

Demain, au moment où ses vingt six petits enfants procéderont au travail généalogique familial, ils sauront se souvenir de cette ombre omniprésente qui a toujours su courber l’échine devant la misère, devant le racisme, devant l’adversité… sans jamais rompre. Ils se rappelleront également de cette ombre charismatique, généreuse et active qui a su donner du sens à sa vie. Enfin, ils garderont  en mémoire l’empreinte d’un grand père  humble et dévoué, disparu à l’âge de 82 ans, après avoir consacré une grande partie de sa vie à servir la cause commune.

 

 

 

 

Tout au long de sa vie, El Haj TELHAOUI s'est appuyé sur une pensée philosophique semblable à celle portée par Marc Aurel : " Il faut être en paix avec soi même pour pouvoir mourir sereinement, à tout instant, par surpise, le sourire aux lèvres... ".

 

A n'en pas douter, El Haj TELHAOUI (Allahi rahmou) s'en est allé le coeur léger, l'âme en paix et avec le sentiment du devoir accompli.

 

Mohamed SELMET

 

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14/09/2012
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